Jean-Pierre Marguénaud : « Ce qui me motive, c'est la protection des animaux par le droit et le respect de la ruralité »

Le droit animalier, c’est quoi ? Quel est son rôle et comment évolue-t-il ? Pour répondre à ces questions, Woopets est parti à la rencontre du père fondateur de cette discipline qui émerge tout doucement en France au fil des années. Entretien avec Jean-Pierre Marguénaud, professeur agrégé des facultés de droit, spécialiste de la Cour européenne des droits de l'Homme et du droit animalier.

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Qu'est-ce que le droit animalier ?

C'est l'ensemble des règles juridiques d'origine législative, réglementaire ou jurisprudentielle qui s'intéressent aux animaux, soit pour les protéger, soit le plus souvent – et même le plus brutalement – pour protéger les hommes contre eux...

Par sa place singulière, le considérez-vous comme un domaine relativement proche du militantisme, contrairement aux autres branches du droit ?

C'est un droit qui peut intéresser des militants, mais il est plutôt destiné à servir d'outil, à offrir des mécanismes ou des concepts opérationnels à tous les militants de la cause animale ou plus largement aux personnes qui s'intéressent à la question de l’animal.

Cela est bien entendu dirigé vers une amélioration de la protection des animaux, mais par des moyens juridiques différents des actions violentes que certains militants radicaux jugent utiles de mettre en œuvre. Ce sont des agissements contre lesquels le droit animalier s'insurge.

En quoi est-il important pour les animaux ?

Le droit animalier est important pour les animaux de manière à dégager les règles qui leur sont appliquées, à la fois du droit civil et paradoxalement du droit de l'environnement. Du droit civil, parce qu'il les a longtemps considérés comme des « biens ». Depuis la réforme de 2015, ils ne sont plus théoriquement des « biens », mais ils sont encore soumis à ce régime par défaut, ce qui ne va pas au bout de la logique... Le droit animalier peut contribuer à finaliser cette extraction déjà bien commencée.

Et du droit de l'environnement, parce qu'il y a pour les animaux sauvages vivant en état de liberté naturelle des regroupements entre droit de l'environnement et droit animalier. Le droit animalier présente cette originalité irréductible de s'intéresser aussi à la sensibilité des animaux sauvages. De son côté, le droit de l'environnement, tout obnubilé par le souci légitime de préserver les grands équilibres et la biodiversité, est assez indifférent à la sensibilité des individus qui composent les espèces.

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À l'heure actuelle, quelle est la place du droit animalier dans la société ?

C'est une place qui commence à se voir. Le droit animalier sous cette dénomination, n'existe que depuis une dizaine d'années. Entre 1977 et 1987, j'ai rédigé une thèse qui s'appelait L'animal en droit privé. C'était vraiment le sujet folklorique par définition ! Depuis une trentaine d'années, les choses ont évolué à une vitesse que je ne me serais jamais figuré lorsque j'ai écrit la première ligne de cette thèse.

Les questions d'intérêt juridique concernant les animaux sont d'une actualité de plus en plus brûlante. En proposant sa candidature aux élections présidentielles, Hélène Thouy* a permis de mettre le thème dans le débat. J'ai vu que cela était repris d'une manière ou d'une autre par d'autres candidats, donc cela a gagné la société civile. Et de la société civile, cela se formalise dans l'émergence d'une nouvelle discipline juridique.

En 1987, vous avez donc soutenu une thèse intitulée L'animal en droit privé. Qu'est-ce qui a guidé votre choix ?

Ce qui a guidé mon choix, c'est peut-être que je connais les bêtes depuis tout petit. Je suis né dans une ferme limousine, j'ai connu les animaux domestiques et sauvages sous tous leurs aspects : les chiens, les chats, les vaches, les cochons, les poules, les lapins... Et beaucoup de vipères, qui étaient une hantise sur le chemin de l'école primaire ! C'est peut-être là le facteur déclencheur de mon sujet de thèse. L'école à laquelle j'ai appris à lire et à écrire était située dans un village de campagne qui s'appelle Bêthe.

Quand je suis allé voir mon directeur de thèse, j'avais idée de m'intéresser à la protection du corps humain. Et ce directeur m'avait demandé si j'avais lu une thèse qui venait d'être soutenue quelques mois plus tôt. Manifestement je ne la connaissais pas... Je n'étais pas tellement bien parti ! Alors j'ai osé suggérer l'animal, ce qu'il a trouvé original. C'était, comme dans le premier sujet auquel j'avais pensé, en revenir à une réflexion juridique sur la souffrance.

Vous avez ensuite publié le Code de l'animal en 2018. En quoi ce texte a-t-il révolutionné le secteur du droit, notamment animalier ?

Cela n'a fait que regrouper et synthétiser un certain nombre de règles qui étaient éparpillées dans le Code civil, le Code pénal, le Code rural, le Code de l'environnement, etc. C'est plus une mise en ordre de ce qui existait et c'est un code privé en droit constant, c'est-à-dire qu'il n'a apporté aucune règle nouvelle.

Nous pouvons savoir où elles sont, nous pouvons mieux les regrouper, les combiner et les utiliser ; de ce point de vue, cela a peut-être été un tournant pour certains praticiens. Cela a aussi permis de monter en régime le droit animalier, puisque s'il y avait un Code de l'animal, c'est bien que d'un point de vue juridique, la question n'était plus « folklorique » ou souterraine.

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Revue Semestrielle de Droit Animalier / IDEDH / Université de Montpellier

Mais avant de vous lancer dans l'écriture de ces ouvrages, vous avez commencé à diffuser la Revue Semestrielle de Droit Animalier en 2009. Pouvez-vous nous la présenter en quelques mots et expliquer son objectif ?

Elle a été fondée en 2009 avec mon collègue et ami le doyen Jacques Leroy, ainsi qu'avec la philosophe Florence Burgat. Nous avions constaté un véritable vide non pas juridique, mais doctrinal, puisqu'il y avait de plus en plus de règles et d'intérêt pour les questions animalières. Il y avait un bulletin juridique international de la protection des animaux, qui existait depuis les années 1930 et qui s'est éteint petit à petit.

Mais par la suite, il n’y a plus rien eu, alors que le besoin se faisait de plus en plus ressentir. Cette revue semestrielle est divisée en 3 parties : l'actualité juridique ; un dossier thématique qui varie à chaque numéro ; une partie de doctrine et débat où nous publions des articles de collègues qui s'intéressent à la question animalière. La Revue Semestrielle de Droit Animalier est rattachée à un centre de recherches, l'Institut de Droit Européen des Droits de l'Homme (IDEDH) de l'Université de Montpellier.

Peut-on étudier officiellement le droit animalier en France ?

Oui, on peut. En 2016, il y a eu la création du premier diplôme universitaire de droit animalier à l'Université de Limoges sur le site de Brive-la-Gaillarde. Je l'ai créé avec ma collègue et amie Lucille Boisseau-Sowinski. Depuis, d'autres formations en droit animalier ont vu le jour : à Brest, à Aix-en-Provence... Et puis quelques autres ici ou là.

Il y a donc une espèce de mouvement qui s'est créée dans le prolongement de la loi de 2015, qui rattrape un peu du retard de la France par rapport à de nombreux pays anglo-saxons. En effet, aux États-Unis l'enseignement de « l'animal law » est répandu.

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Comment aimeriez-vous faire évoluer le droit animalier en France ?

Compléter la réforme de 2015 pour qu'il n'y ait plus du tout la moindre ambiguïté quant à l'exclusion des animaux de la catégorie des biens. Ce qui me paraît le plus urgent depuis longtemps, c'est d'étendre aux animaux sauvages vivant à l'état de liberté naturelle la protection pénale contre les actes de cruauté et les sévices graves.

Un article du Code pénal punit de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d'amende les actes de cruauté exercés publiquement ou non sur des animaux domestiques apprivoisés ou tenus en captivité, ce qui veut dire que les actes de cruauté exercés publiquement ou non sur des animaux sauvages vivant en état de liberté naturelle ne sont pas punis, et cela est une incohérence.

Les animaux sauvages sont eux aussi des êtres vivants doués de sensibilité, et la douleur qu'ils ressentent sous les actes de cruauté est aussi révoltant que ce que subissent les autres. Mais cela remettrait en cause sans doute trop brutalement certaines pratiques traditionnelles de chasse à courre ou autre, et il y a toute une série de lobbies qui freinent des 4 fers…

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Avec l'aimable autorisation de Jean-Pierre Marguénaud

Aujourd’hui, vous publiez Terre des Bêtes co-écrit avec Jean et Bernard Bernaben. Pouvez-vous nous expliquer comment est né ce projet ? Comment s’inscrit-il dans votre engagement en faveur du respect des animaux et de la nature ?

Ce projet est né d'une vieille amitié ! Avec Bernard Bernarben, nous fêtons nos 50 ans d'amitié ininterrompue depuis les bancs de la faculté de droit. 3 genres littéraires sont représentés : les fables, les récits et les pastorales. Les récits, c'est plutôt pour la terre. Les pastorales de Jean Bernaben sont associées à la protection de la nature et de l'environnement. Et j'ai écrit les fables pour dire autrement ce que j'ai pu dire pendant 40 ans dans mes cours de droit animalier et de droit européen des droits de l'Homme.

C'est à partir de souvenirs d'enfance, d'adolescence et de vieillesse que j'exprime autrement ce qui me motive, c'est-à-dire la protection des animaux par le droit et le respect de la ruralité, puisque je suis né dans une ferme. Je suis fils, petit-fils et arrière-petit-fils d'éleveurs, je suis attaché à mes origines. Il pourrait y avoir un risque d'écartèlement entre la protection des animaux et le respect de la ruralité, nous pourrions croire que ce sont 2 mondes qui s'opposent complètement. Eh bien, je dis « non » !

Il y a un moyen de concilier la ruralité et la protection des animaux. J'ai vécu cela toute ma vie, je l'ai vu par l'intermédiaire de ma mère qui était éleveuse et qui m'a transmis la passion des animaux. J'essaie de faire comprendre aux ruraux qui nous liraient que protéger les animaux ce n'est pas renier ses origines, et aux protecteurs des animaux qui sont plutôt des citadins que la ruralité n'est pas une adversaire archaïque du respect de la considération pour les animaux.

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Récits, pastorales, fables… des genres littéraires appartenant à une autre époque que vous utilisez pour conter une réalité d’autrefois autour de la nature et du respect des animaux. Comment cette photographie littéraire du passé peut-elle être une source d’enseignements dans notre société actuelle ?

Je pense que cela peut être une source d'enseignements, car quand nous avons les pieds dans le passé, cela n'empêche pas de voir des choses actuelles. J'ai quelques fables sur les réseaux sociaux, par exemple. Le genre littéraire de la fable mérite d'être restauré. L'inconvénient, c'est qu'elle est écrasée par Jean de La Fontaine, et celui qui écrit une fable passe tout de suite pour un prétentieux croyant qu'il va l'égaler...

Je crois que c'est une manière d'expression qui a sa force et sa pertinence ; je mets les fables un peu en parallèle avec la chanson populaire. Dans les 2 cas c'est rimé et c'est relativement ramassé comme moyen d'expression. Je m'aperçois au fil du temps qu'il n'y a plus de chansons populaires qui intéressent l'ensemble des couches de la société.

Dans les années 1960 et 1970, compte tenu des moyens de diffusion, tout le monde avait en tête des chansons même de chanteurs qu'il ne supportait pas. Aujourd'hui, il y a toujours des chansons – fort heureusement –, mais qui sont connues par telle catégorie d'âge, telle catégorie professionnelle et qui ne se diffusent pas sur l'ensemble de la société.

Donc il y a cette manière d'éteindre les moyens d'expression ramassés, dont les fables font aussi partie. La fable mérite d'être réhabilitée pour dire, avec des moyens qui peuvent paraître surannés, des choses d'aujourd'hui.

* Avocate, co-présidente et co-fondatrice du Parti animaliste.

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